Ce projet ne doit pas être fait … aussi parce que, si la France déclarera de vouloir le réaliser, la plus grande partie de la facture sera payée par l’Italie
La France va bientôt révéler l’avenir du Lyon Turin. À cette fin, le ministre des Transports Elisabeth Borne a confié au Conseil d’Orientation des Infrastructures – COI, présidé par Philippe Duron de « définir une stratégie et une programmation soutenables des actions à mener dans la prochaine décennie ». Cette programmation contiendra, entre autres, l’avenir du Lyon-Turin.
Dans ce contexte, le Président de l’Unione Montana Valée de Suse Sandro Plano a envoyé un document détaillé à Philippe Duron le 4 janvier 2018 confirmant que «ce projet aurait un impact très négatif sur la vallée de Suse et sur le budget de l’État italien».
Cet acte était nécessaire car le COI n’a consulté officiellement aucun sujet italien favorable ou contraire au projet Lyon-Turin (cf. page 42 du Rapport d’Etape). Entre autres, il a été auditionné le Président de TELT, société mixte franco-italienne. « Nous estimons que TELT n’est pas en situation d’exprimer une opinion franche et désintéressée sur l’opportunité de réaliser ce projet. En effet, la mission de TELT est uniquement d’exécuter les actes et les instructions définis par les gouvernements italien et français, conformément à l’article 2 des statuts de TELT.
La décision de l’Unione Montana de la Vallée des Suse d’écrire directement au Gouvernement français est un acte politique qui renforce l’unité de l’opposition au Lyon Turin.
La lettre fait savoir « au Conseil d’orientation des infrastructures quelques évaluations économiques et de transports qui conseillent de ne pas procéder à la réalisation du projet Lyon-Turin, confirmé par le groupe d’experts hautement qualifiés qui font partie de la Commission Technique des Municipalités de Valle Susa et de Turin ».
Le président Plano rappelle que « Dans le premier Accord de Turin de 2001 (article 1), la France et l’Italie avaient sagement décidé que la mise en service devrait intervenir à la date de saturation des ouvrages existants. » Aujourd’hui cette ligne, entièrement modernisée, est utilisée à 15%. À l’état des connaissances, la prévisibilité de sa saturation est impossible à évaluer. Nous sommes donc très loin de la nécessité de commencer à creuser le tunnel en abandonnant le tunnel existant ».
La Pause peut donc se poursuivre pendant de nombreuses années conformément à cette décision également car, à l’heure actuelle, ni la France ni l’Italie ne sont en mesure de respecter la clause fondamentale de l’Accord de Rome de 2012 (article 16) qui impose aux deux Etats que « La disponibilité du financement sera un préalable au lancement des travaux des différentes phases de la partie commune franco-italienne de la section internationale. »
Le Président Plano a également demandé « qu’une nouvelle analyse socio-économique européenne soit effectuée pour confirmer l’inutilité de la nouvelle liaison ferroviaire ».
Dans le document il est affirmé que « Nos analyses dimensionnent d’importants coûts de gestion du nouveau tunnel et nous prévoyons, qu’avec la concurrence des tunnels de base réalisés par la Suisse, le gestionnaire TELT devra recevoir d’importantes subventions de l’Italie et de la France pour éviter la faillite »
En ce qui concerne les coûts du tunnel, nous rappelons que ceux-ci sont en grande partie payés par l’Italie. L’Accord de Rome du 30 janvier 2012 (article 18 de l’Accord de 2012) a en effet prévu une répartition inéquitable des coûts, estimée désormais à €8,6 milliards : après déduction de la contribution européenne de 40%, les quotas nationaux italien et français s’élèvent à €5,16 milliards.
L’Italie devrait payer le 58% de cette facture. Et compte tenu de la localisation du tunnel sur le territoire français (45 km en France contre 12 km en Italie), chaque kilomètre italien du tunnel coûterait €245 millions, alors que chaque kilomètre en France ne représenterait que €48 millions.
Le Président Plano a affirmé que « considérons les accords modifiables à la lumière de nouvelles évaluations économiques et estimations de trafics détaillées » et il a souhaité que « la réflexion du Conseil d’Orientation des Infrastructures ne se fonde pas uniquement sur les décisions antérieures objets des accords internationaux entre la France et l’Italie. »
Dans le document il est rappelé au Président Duron que « L’opposition des citoyens italiens à ce pharaonique projet a commencé en 1989 et elle est toujours très active malgré le déploiement par l’Etat italien d’un dispositif de contrôle militaire du territoire jamais vu auparavant dans l’histoire italienne d’après-guerre. L’opposition au Turin-Lyon est politiquement soutenue par les administrations de la plupart des municipalités de la Vallée de Suse et de la ville de Turin, malgré les propos des médias, du Président de l’Observatoire Technique et du Commissaire extraordinaire du gouvernement italien ».
En conclusion, le Président de Plano informe le gouvernement français que l’Italie a modifié unilatéralement l’Accord de 2012 (article 4), qui prévoit que le projet doit être mis en œuvre dans différentes phases fonctionnelles, introduisant dans la Loi italienne ratifiant cet accord le principe de « Lots constructifs » qui permettra à l’Italie de ne pas avoir à assurer le financement intégral du projet à travers une loi pluriannuelle, rendant ainsi la date d’achèvement des travaux indéfinie.
Monsieur Philippe DURON
Président du Conseil d’Orientation des Infrastructures
Ministère de la transition écologique et solidaire
244 Boulevard Saint-Germain
75007 PARIS
Sujet : Nouvelle ligne Ferroviaire Lyon-Turin : partie commune franco-italienne
Monsieur le Président,
L’Unione Montana Valle Susa (Italie) (1) est l’association des Municipalités de la Bassa Valle Susa en Italie, un territoire qui commence à environ 15 kilomètres de Turin et s’étend jusqu’à la frontière avec la France. Nous avons pris acte et apprécie le bon sens de la décision du gouvernement français de « faire une pause » sur le projet Lyon Turin ferroviaire et notamment sur le nouveau tunnel transfrontalier. Nous considérons que ce projet impacterait négativement et lourdement la Vallée de Suse et le bilan économique de l’Etat italien.
Le Conseil d’Orientation des Infrastructures, dont vous assurez la présidence, remettra fin janvier 2018 le résultat de sa réflexion et ses propositions pour une planification des investissements français en matière de transport et en particulier ses recommandations sur le projet Lyon Turin pour la section transfrontalière et ses « accès » du côté français.
Dans cet objectif, le Conseil d’Orientation des Infrastructures a auditionné plus de cinquante personnes et organismes français. Compte tenu du caractère international de cette liaison, ces propositions auront des conséquences directes sur la partie italienne du projet. Nous souhaitons contribuer à la réflexion en cours et porter à votre attention certains éléments d’analyse.
Nous proposons que la réflexion du Conseil d’Orientation des Infrastructures ne se fonde pas uniquement sur les décisions antérieures objets des accords internationaux entre la France et l’Italie. Nous considérons ces accords modifiables à la lumière de nouvelles évaluations économiques et estimations de trafics détaillées.
Vous avez reçu (2) le Président de TELT Tunnel Euralpin Lyon Turin, promoteur public en charge de la réalisation puis de la gestion de la section transfrontalière. Nous estimons que TELT n’est pas en situation d’exprimer une opinion franche et désintéressée sur l’opportunité de réaliser ce projet. En effet, la mission de TELT est uniquement d’exécuter les actes et les instructions définis par les gouvernements italien et français, conformément à l’article 2 des statuts de TELT. (3)
L’opposition des citoyens et des élus
L’opposition des citoyens italiens à ce projet a commencé en 1989 et est toujours très active malgré le déploiement par l’Etat italien d’un dispositif de contrôle militaire du territoire jamais vu auparavant dans l’histoire italienne d’après-guerre.
L’opposition au Turin-Lyon est politiquement soutenue par les administrations de la plupart des municipalités de la Valle Susa et de la ville de Turin, en dépit de la pression exercée par les médias, le président de l’Observatoire Technique et le Commissaire extraordinaire du gouvernement italien.
Dix-sept ans après le premier accord de Turin, et contrairement à ce que prétendent la Commission européenne, les médias, les représentants de la Commission intergouvernementale franco-italienne, la Transalpine, le Président de l’Observatoire Technique, le Commissaire extraordinaire du gouvernement italien et TELT, l’opposition pacifique des citoyens et de leurs représentants élus est très forte et efficace.
Ces dernières années les activités de LTF/TELT ont été retardées au point que seules les études et les travaux de nature géologique sont partiellement achevés. Rappelons que les prévisions officielles faites lors de la signature du premier accord en 2001 indiquaient l’ouverture du tunnel au trafic ferroviaire en 2012.
Notre expertise
Depuis de nombreuses années, nous analysons ce projet avec beaucoup de professionnalisme et avons une connaissance approfondie de ce sujet. Nous avons également demandé au groupe d’experts hautement qualifiés qui composent la Commission Technique (4) des Municipalités du Val de Suse et de Turin de valider notre opposition par des appréciations économiques et des prévisions de transport. Nous avons sélectionné quelques éléments fondamentaux qui confirment l’inutilité et l’impact négatif de cette nouvelle liaison.
Inutilité du projet
Pour ce qui concerne l’environnement nous sommes convaincus que la ligne ferroviaire existante est en capacité de permettre dès maintenant le report modal sur cet axe et ainsi de contribuer à la réduction des gaz à effet de serre. L’équilibre entre la diminution hypothétique des gaz à effet de serre liée à l’utilisation de la nouvelle ligne ferroviaire et les émissions des chantiers pour sa construction est prévu au mieux en 2058 (5).
La ligne existante a une capacité de plus de 20 millions de tonnes de marchandise, soit plus de six fois la demande actuelle de trafic. Selon l’Observatoire technique auprès du Gouvernement italien, sa capacité peut atteindre 32 millions de tonnes. (6) En utilisant la ligne existante actuelle, le temps de parcours théorique sans arrêt de Paris à Milan est de 5 heures et 15 minutes et doit être comparé aux 4 heures sans aucun arrêt valorisées par TELT. Nous souhaitons qu’une nouvelle analyse socio-économique européenne soit menée pour confirmer l’inutilité de la nouvelle liaison.
Concernant la qualité de service et l’efficience, le projet ne contribue pas à la réduction de la congestion et des nœuds ferroviaires. Les goulets d’étranglement sont très éloignés du tunnel transfrontalier. Nos analyses dimensionnent d’importants coûts de gestion du nouveau tunnel et nous prévoyons, qu’avec la concurrence des tunnels de base réalisés par la Suisse, le gestionnaire TELT devra recevoir d’importantes subventions de l’Italie et de la France pour éviter la faillite, comme ce fut le cas pour l’entreprise chargée de la gestion du tunnel de Figueras – Perpignan (7), face à un trafic insuffisant.
L’Union Européenne priorise le financement des projets qui ont « une valeur ajoutée européenne et présentant de grands avantages pour la société, qui ne reçoivent pas un financement adéquat du marché ». (8) (9)
Ces critères sont absents du projet Lyon Turin. Le nouveau tunnel remplacerait l’existant, il ne remplit donc pas de maillon manquant. La liaison ne résorbe pas les goulets d’étranglement du contournement nord de Lyon et de Turin et n’augmente pas l’interopérabilité ferroviaire déjà active sur la ligne existante.
L’analyse coûts-avantages du projet montre un résultat très faiblement positif et a été réalisée après l’accord du premier financement par l’Union Européenne alors que cela aurait dû être fait avant la demande de financement.
De plus, la fiabilité de cette analyse est discutable car elle a été réalisée par Monsieur Oliviero Baccelli, un professeur de l’Université Bocconi, membre du Conseil d’administration de TELT et donc en conflit d’intérêts dans la réalisation de ce rapport. (10)
Le financement européen actuel expire en 2019 et concerne une partie limitée des travaux de la Partie commune franco-italienne de la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin.
Les engagements de la France et de l’Italie
Nous souhaitons rappeler certains des engagements signés par la France et l’Italie et une modification unilatérale de l’Italie qui compromet la faisabilité du projet.
Dans l’art. 1 du premier accord de 2001 (11), la France et l’Italie avaient sagement priorisé l’objectif de la saturation de la ligne existante. Aujourd’hui cette ligne, entièrement modernisée avec un investissement italien et français d’environ € 400 millions d’euros, est utilisée à 15%. En l’état des connaissances, il est impossible de prévoir sa saturation. Nous sommes donc loin de la nécessité de commencer à creuser le tunnel en abandonnant le tunnel existant.
La pause peut donc continuer pendant de nombreuses années en conformité avec cet accord.
Avec le second accord de 2012 (12) la France et l’Italie, – pour sécuriser la réalisation des travaux -, avaient convenu avec l’art. 16 de mettre à la disposition du projet tous les fonds nationaux nécessaires à son exécution complète avant de commencer l’excavation du tunnel.
Les financements français et italien pour l’ensemble des travaux définitifs du tunnel ne sont actuellement pas disponibles.
À l’heure actuelle, la France et l’Italie ne respectent pas cette clause fondamentale. Dans l’attente de la loi d’orientation des mobilités, TELT ne devrait donc pas être autorisé à engager les travaux définitifs sur les chantiers en France et en Italie.
Parallèlement, la France et l’Italie se sont engagées à ne pas demander de fonds supplémentaires à l’Union européenne en plus du coût certifié (article 18 accord de 2012) et l’Union européenne n’a pas alloué de fonds pour des activités qui devraient être réalisées au-delà de 2019. Ce financement européen suppose que la France soit en mesure de financer sa part.
Le projet devrait être mis en œuvre dans différentes phases fonctionnelles, comme détaillé dans l’art. 4 de l’accord de 2012 (13). Mais l’Italie a unilatéralement modifié cette manière de procéder en introduisant le concept de lots constructifs dans la Loi de ratification (14) de l’accord de 2015 (15). Cela permettra à l’Italie de ne pas garantir le financement intégral du projet par une loi pluriannuelle, rendant ainsi indéterminée la date d’achèvement des travaux.
En espérant que notre contribution retiendra votre attention, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’orientation des infrastructures, l’expression de notre haute considération.
Sandro Plano
Président
Unione Montana Valle Susa
(1) http://www.unionemontanavallesusa.it/
(2) M. Hubert du Mesnil, Président de TELT, auditionné le 22 novembre 2017
(3) Statut de TELT http://www.telt-sas.com/wp-content/uploads/2016/11/Statuts-TELT_010716.pdf
(4) Scientifiques, professeurs d’université et techniciens qui prêtent gratuitement leur collaboration.
(5) Impact environnemental de la Nouvelle Ligne Ferroviaire Lyon-Turin M. Clerico, L. Giunti, L. Mercalli, M. Ponti, A. Tartaglia, S. Ulgiati, M. Zucchetti (2014) http://www.notav.info/post/impatto-ambientale-della-nuova-linea-torino-lione-3/ 6http://www.ambientevalsusa.it/PresentTartagliaTAV-01-12-07.pdf http://presidenza.governo.it/osservatorio_torino_lione/quaderni/Quaderno1.pdf
(8) Art. 3 du RÈGLEMENT (UE) No 1316/2013 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 11 décembre 2013
(9) Art. 4 du RÈGLEMENT (UE) No 1316/2013 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 11 décembre 2013
(10) http://www.gruppoclas.com/it/news_dett.asp?cat=notiz&id=436
(11) Accord de Turin 29.1.2001, fr Objet Les Gouvernements français et italien s’engagent par le présent accord à construire ou à faire construire les ouvrages de la partie commune franco-italienne, nécessaires à la réalisation d’une nouvelle liaison ferroviaire mixte marchandises-voyageurs entre Lyon et Turin et dont la mise en service devrait intervenir à la date de saturation des ouvrages existants.
(12) Accord de Rome 30.1.2012, fr Article 16 – Principes Le présent titre a pour but de préciser les modalités de financement entre les Parties des prestations réalisées pendant la construction des ouvrages définitifs de la partie commune franco-italienne. La disponibilité du financement sera un préalable au lancement des travaux des différentes phases de la partie commune franco-italienne de la section internationale. Les Parties solliciteront l’Union européenne pour obtenir une subvention au taux maximum possible pour ces réalisations.
(13) Accord de Rome 30.1.2012, fr Article 4 – La Partie commune franco-italienne de la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin est composée, suivant le plan figurant en annexe 1 au présent Accord (cette annexe faisant partie intégrante du présent Accord) : a) en France, d’une section de 33 kilomètres environ franchissant le massif de Belledonne et comprenant les tunnels à double tube de Belledonne et du Glandon ; b) d’un tunnel à double tube de 57 kilomètres environ entre Saint-Jean-de-Maurienne, en France, et Suse – Bussoleno, en Italie, creusé dans les Alpes, sur les territoires français et italien et incluant trois sites de sécurité à La Praz, Modane et Clarea ; c) d’une section à l’air libre d’environ 3 kilomètres en territoire italien à Suse ; d) d’un tunnel à double tube d’environ 19,5 kilomètres situé sur le territoire italien entre Suse et Chiusa San Michele ; e) en France et en Italie, des ouvrages de raccordement à la ligne historique ; f) ainsi que des ouvrages annexes (gares, installations électriques, etc.) nécessaires à l’exploitation ferroviaire et de ceux dont les Parties conviendraient ultérieurement qu’ils doivent être inclus dans cette partie commune franco-italienne. Ces ouvrages seront réalisés en plusieurs phases fonctionnelles.
(14) Loi 5 janvier 2017, n. 1 (cf. art.3) : Ratification de l’Italie de l’Accordo de Paris 2015, du Protocol additionnel signé à Venise le 8 mars 2016, avec le Règlement des contrats signé à Turin il 7 juin 2016.
(15) Accordo di Parigi 24.02.2015