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Transports

Lyon-Turin : l’épineuse question du financement des accès tranchée in extremis

À quelques heures de l’échéance pour déposer un dossier auprès de l’Union européenne, et après plusieurs mois de négociations, l’Etat et les collectivités territoriales ont trouvé un accord sur le financement des études sur les voies d’accès du Lyon-Turin et du contournement de la capitale des Gaules. La région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a annoncé hier renforcer sa participation de 20 millions d’euros, contre 20 millions d’euros supplémentaires de l’Etat, a également conditionné son apport à un nouvel engagement de celui-ci dans le Contrat Plan Etat Région Mobilités. « Coup de force » ou « chantage » ? Décryptage.

Emma Rodot

29 Jan 2024, 19:16

Les négociations entre l’Etat et les collectivités territoriales sur le financement des études sur les voies ferroviaires du Lyon-Turin se sont conclues le 29 janvier 2024, soit la veille de la clôture de la plateforme européenne où déposer le dossier de demande de subvention. (Crédits : DR)

Les tractations se déroulaient en coulisses depuis plusieurs mois, mais ce week-end a marqué « la dernière ligne droite » des échanges entre les collectivités territoriales et l’Etat sur le financement des études du Lyon-Turin. Ces dernières, d’une durée de trois ans, visent en effet à définir le tracé exact du contournement ferroviaire de Lyon et des voies d’accès au tunnel transfrontalier, entre la France et l’Italie. Mais aussi à réévaluer les répercussions environnementales et socio-économiques de ce vaste projet, qui entend, à terme, enlever 1 million de camions des routes chaque année.

D’un coût total estimé à 220 millions d’euros (170 millions d’euros pour les accès du Lyon-Turin, et 50 millions d’euros pour le contournement de Lyon, appelé « CFAL Nord »), le dossier était ces dernières semaines dans les mains des autorités : il s’agissait de répartir le financement de 130 millions d’euros entre l’Etat et les collectivités, le reste (un plafond de 90 millions d’euros), pouvant être pris en charge par l’Union européenne. Mais pour cela, la France devait déposer un dossier bouclé à temps devant Bruxelles, avant demain, le 30 janvier. C’est désormais quasiment chose faite, annonce ce lundi 29 janvier, à 17 heures, le cabinet du ministère de la transition écologique :

Un « accord ambitieux et global a été trouvé le 29 janvier avec Laurent Wauquiez, le président de la région Auvergne Rhône-Alpes », indique le ministère à l’Agence France Presse par voie de communiqué. Ce qui « permet de débloquer la demande de subvention » européenne, la veille de sa clôture.

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Un « sauvetage » sous « conditions »

Et pourtant, il manquait encore 40 millions d’euros à l’enveloppe française en fin de semaine dernière, à quelques jours de l’échéance. Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, n’a en effet répondu que dimanche à la proposition déjà formulée par la préfète de région, mi-décembre : à savoir, ajouter 20 millions d’euros supplémentaires de la poche d’Auvergne-Rhône-Alpes, ce qui triple presque la participation de la collectivité, passant de 13 à 33 millions d’euros. En contrepartie, l’Etat étend également sa participation de 20 millions d’euros supplémentaires, pour atteindre un financement de 85 millions d’euros dans ce dossier.

Pour autant, le président Laurent Wauquiez a associé ce qu’il présente comme un « sauvetage » de dernière minute à des « conditions » : à savoir augmenter, en parallèle, sa participation et celle de l’Etat au volet Mobilités du Contrat Plan Etat Région (CPER), pas encore conclu, à hauteur de 100 millions d’euros supplémentaires et respectifs.

« Pour sauver le Lyon-Turin, il faut que l’Etat réponde d’ici demain (…), la balle est dans son camp », a ainsi déclaré Laurent Wauquiez dimanche soir à l’Agence France Presse. Sans quoi, « on risque de perdre la moitié des financements de l’UE (…), sans compter que cela ferait tomber la déclaration d’utilité publique ».

Après de derniers échanges, l’Etat a communiqué sa réponse, positive, en fin de journée ce lundi : « l’Etat et la Région augmentent leurs engagements respectifs de plus de 70 millions d’euros supplémentaires » dans le CPER Mobilités, indique le ministère de la transition écologique, pour les porter à plus de 690 millions d’euros chacun, dont une partie concernerait la modernisation de la ligne Paris-Clermont-Ferrand.

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Le CPER Mobilités dans la balance

Plusieurs interlocuteurs voyaient en tout cas en cette nouvelle balle de match « un coup de force ». Ou un « chantage », dont la région serait « spécialiste » dans ses relations avec le gouvernement, estimait jeudi Marjolaine Meynier-Millefert, députée Renaissance de la 10e circonscription de l’Isère, qui serait traversée par les voies d’accès du Lyon-Turin : « C‘est un rapport de force jusqu’au boutEt comme à la fin, l’Etat est “responsable de tout”, en général, c’est l’Etat qui paye ».

L’ajout du CPER Mobilités comme variable d’ajustement dans la balance des discussions était en effet dans les tuyaux depuis plusieurs semaines. Ce plan, censé courir de 2023 à 2027 – il n’est pas encore conclu – doit encadrer les infrastructures routières et ferroviaires : par exemple, la réouverture de petites lignes, le développement des services express régionaux métropolitains (SERM) et de transports collectifs, ou encore la sécurisation des ouvrages d’art. Surtout, il doit être conclu à parts égales entre l’Etat et la région.

Doté initialement d’une enveloppe estimée à 620 millions d’euros, fournie par l’Etat, Laurent Wauquiez plaidait depuis plusieurs mois pour un rehaussement de 100 millions d’euros supplémentaires, de chaque partie, notamment pour financer « la mobilité du quotidien » : le président de région avait ainsi d’ores-et-déjà annoncé proposer 50 millions d’euros supplémentaires pour les petites lignes ferroviaires, et 50 millions d’euros pour les ouvrages d’art. Et déclarait ainsi, depuis plusieurs mois, « attendre une réponse de l’Etat » sur ce sujet.

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« Il n’y a aucune hypothèse où, le 30 janvier, les discussions échouent »

L’échéance du Lyon-Turin constituait donc bien une « occasion » pour le président de région de forcer les négociations du CPER Mobilités et, au moins, de les remettre sur le devant de la scène. Pour autant, « Le fait de rapprocher les 20 millions d’euros ajoutés par la Région au Lyon-Turin, déjà compensés par l’Etat, sont-ils à corréler au CPER ? Faut-il vraiment associer ces deux sujets ? La relation n’est pas évidente à faire, on ne parle pas forcément de la même chose », interroge le directeur d’un cabinet d’expertise, qui requiert l’anonymat en raison de l’aspect polémique du sujet.

De même, comment sera perçue cette situation par Bruxelles, qui devra instruire le dossier ? Dans ce contexte, là où les négociations portent sur des points de blocage financiers, le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, avait au moins apporté un éclairage le 24 janvier dernier, devant les sénateurs :

« Les discussions, vous dîtes qu’elles ont échoué. Mais je dirais plutôt, et c’est très sérieux, qu’elles n’ont pas abouti. Parce qu’il n’y a aucune hypothèse où, le 30 janvier, les discussions échouent ».

Priorité au contournement de Lyon ?

L’échéance est en tout cas importante pour l’ensemble du dossier : « Si nous passons à côté de ce wagon de financement européen (le mécanisme pour l’interconnexion en Europe), le prochain train ne reviendrait qu’en 2027 », remarque Stéphane Guggino, délégué général du Comité pour la liaison européenne Transalpine, association favorable au projet. Soit un an avant l’échéance de la déclaration d’utilité publique des 140 kilomètres d’accès entre Lyon et Saint-Jean-de-Maurienne.

Mais ce projet dit « grand gabarit », qui consiste notamment à creuser, à terme, deux nouveaux tunnels adaptés au fret (Chartreuse et Belledonne), ne doit pas occulter l’autre partie de liaison franco-italienne : à savoir le contournement ferroviaire de Lyon par l’est, via le « CFAL Nord », sans lequel le scénario du Lyon-Turin n’aurait « pas vraiment de sens », remarque Lionel Clément, docteur en sciences économiques et expert en financement de projets transport et innovation pour le cabinet lyonnais Transae :

« L’un ne va pas sans l’autre. Si on veut les accès alpins, il faut le CFAL Nord, on ne peut pas les dissocier. Par contre le CFAL Nord à lui tout seul ne suffirait pas non plus : il lui faudrait aussi le CFAL Sud, afin de poursuivre le contournement de Lyon et reprendre les flux venus du sud. Dans tous les cas, ces projets sont nécessaires pour aller à l’est et au sud. Il n’y a pas de dissociation possible. »

C’est notamment dans cette perspective que certains politiques poussent pour un « échelonnage » des priorités. C’est ainsi que vendredi dernier, le président de la métropole de Lyon, Bruno Bernard (EELV), pointait une « une fuite en avant » du projet Lyon-Turin, invitant à « procéder par étapes » et prioriser le contournement ferroviaire de Lyon, aussi pour des questions d’équation économique, là où le projet global s’élèverait à environ 12 milliards d’euros.

L’élu – qui a engagé 5 millions d’euros seulement pour le CFAL Nord – dit s’appuyer sur les travaux du Comité d’orientation des infrastructures (COI), une instance consultative placée sous la tutelle du ministre chargé des transports. Celle-ci avait remis, début 2023, son rapport à l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne : celui-ci n’intégrait pas la livraison des nouvelles voies d’accès avant 2045, là où le tunnel serait quant à lui livré en 2032, priorisant la construction du CFAL. Ces conclusions avaient notamment été décriées par des partisans du dossier, dont le Comité pour la Transalpine, comme nous le détaillions l’année dernière.

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Des évaluations techniques et financières

Sur le fond, s’il est bien validé par l’Union européenne, le dossier actuel vise à lancer des études d’avant projet définitif (APD) pour l’ensemble de ces infrastructures. Elles pourraient débuter au dernier trimestre 2024, pour une durée estimée à trois ans, soit « un véritable défi » sur les plans technique et socio-économique, selon Lionel Clément.

En effet, les dernières grandes études sur le sujet ont été réalisées « la plupart avant 2012 et 2013 », dates des déclarations d’utilité publique du CFAL Nord et des accès. Il s’agit désormais de modéliser le tracé exact des voies, évaluer les points de connexion ferroviaire et réfléchir à des plateformes de fret, pour passer de la route au rail. Mais aussi de prendre en compte l’évolution de la réglementation environnementale depuis quinze ans. Et, enfin, de préciser les retombées socio-économiques prédictibles de cette nouvelle route ferroviaire, en termes d’emplois et de flux journaliers.

« Les études socio-économiques mettront-elles en évidence qu’il y a suffisamment de trafics sur la section ? Les données utilisées ont une quinzaine d’années, il n’y a pas eu de remise à plat depuis », remarque à nouveau Lionel Clément.

La question du financement, qui lui est associée, sera encore plus épineuse : quelles seront les parts de l’Union européenne, de l’Etat et des collectivités territoriales dans ce grand gâteau estimé pour l’instant à 12 milliards d’euros pour le plus grand projet ? Clément Beaune, lorsqu’il était ministre des transports, avait déclaré une participation de l’Etat à hauteur de 3 milliards d’euros, en juin dernier.

De même, les appels d’offres et les travaux qui suivraient mobiliseraient également plusieurs années. Et les acteurs du dossier se sont déjà fait une raison : contrairement a priori à l’Italie, les accès français ne seront de toute façon par livrés en 2032, date de l’ouverture prévue de l’ouvrage transfrontalier, le plus long du tunnel ferroviaire du monde avec ses 57,5 kilomètres.

Emma Rodot